On en parle depuis le début des années 90. Les troubles musculosquelettiques également connu sous l’acronyme TMS sont maintenant bien installés chez les travailleurs français, mais aussi chez nos voisins européens qui constatent le même phénomène. L’augmentation des cadences et les exigences de productivité appliquées à une population active vieillissante sont à l’origine de ces nouvelles maladies professionnelles.
Qu’appelle-t-on TMS ?
Les troubles musculosquelettiques (TMS) affectent l’appareil locomoteur. Caractérisés par des douleurs ou gênes permanentes, ils touchent en général les muscles, les tendons, les ligaments, les vaisseaux et les nerfs, c’est-à-dire les tissus mous.
Les parties du corps concernées se situent souvent autour des articulations.
Elles sont principalement localisées dans le dos, le cou, les épaules et les poignets. À l’exception du genou, les TMS des membres inférieurs sont moins répandus.
Les troubles musculosquelettiques les plus fréquents
Dans son rapport des risques professionnels, L’Assurance Maladie recense principalement le syndrome du canal carpien au poignet, le syndrome de la coiffe des rotateurs à l’épaule, l’épicondylite au coude mais également les sciatiques par hernie discale et lombalgies pour le dos ou encore les cervicalgies (douleurs au niveau du cou). On peut rajouter à cette liste les tendinites, fréquentes au bras et au coude, et l’hygroma du genou.
Les troubles des membres supérieurs (mains, poignets et doigts) arrivent en tête des déclarations de TMS (35%), suivis de près par ceux de l’épaule (33 %) et du coude (22 %). Le dos (7 %) et le genou (2 %) sont loin derrière.
Même s’ils sont moins fréquents, les TMS des membres inférieurs sont tout aussi gênants, puisqu’ils affectent le socle de notre corps, à savoir les pieds, les chevilles et les genoux. Toujours dus à des gestuelles répétitives ou postures prolongées, ces troubles sont de différentes natures : compression du nerf sciatique externe, gonalgie du genou, tendinite rotulienne ou du talon d’Achille. La sollicitation répétée des membres inférieurs peut même aller jusqu’à la rupture d’un tendon ou une fracture de fatigue.
Quant au dos, rarement épargné par de mauvaises positions, il est affecté par les mouvements engendrant des flexions avant et arrière, et bien sûr par tous les déplacements latéraux impliquant des torsions. Les TMS spécifiques sont des lombalgies (bas du dos), les dorsalgies (haut et milieu du dos) et les cervicalgies (cou et des trapèzes). A noter que le mal de dos, considéré comme “le mal du siècle” représente 20 % des accidents du travail.
Les TMS en chiffres
En général
Les derniers chiffres publiés encore une fois sur le rapport 2018 des risques professionnels de L’Assurance Maladie font état de 43 506 cas de TMS identifiés sur 2018. On constate que si le nombre de TMS avait diminué entre 2014 et 2017, il connait une augmentation entre 2017 et 2018.
A noter qu’en 2017, 87 % des maladies professionnelles reconnues par le régime général étaient des TMS ou des lombalgies.
Hommes ou femmes?
Les TMS d’origine professionnelle touchent plus les femmes (53%) que les hommes (47%). Jusqu’à 45ans le nombre de cas est quasi identique entre hommes et femmes mais à partir de 45 ans le nombre de cas augmentent chez les femmes plus que chez les hommes.
Quels sont les métiers concernés?
Voici la répartition des TMS par catégories professionnelles selon les données nationales des arrêts de travail et des maladies professionnelle communiqués par le rapport 2018 des risques professionnels de L’Assurance Maladie :
- Services, commerces, industries de l’alimentation : 23,5%
- Activité de services : 22,5%
- Bâtiment et Travaux Publics : 15,2%
- Métallurgie : 11,7%
- Transports, EGE (eau-gaz-électricité), livre, communication : 7,3%
- Commerces non-alimentaires : 5,3%
- Bois, ameublement, papier-carton, textile, vêtement, etc. : 5,2%
- Compte spécial MP : 4%
- Chimie, caoutchouc, plasturgie : 3,3%
- Autres : 2%
- Bureaux et sièges sociaux : 0.1%
Les coûts pour l'entreprise
Les TMS constituent la première cause de journées de travail perdues, soit plus de dix millions de journées de travail annuelles (chiffres de 2017).
Le coût pour les entreprises s’élève à deux milliards d’euros. Il s’agit en fait des cotisations d’accidents du travail et maladies professionnelles (AT/MP).
Arrêts de travail, absentéisme, turn-over… cette désorganisation des services, avec en corolaire une baisse de la productivité, coûte cher aux entreprises.
D’où viennent les troubles musculosquelettiques ?
Le lien entre le travail et l’apparition de TMS est aujourd’hui bien établi. Cependant le travail n’est pas toujours la seule cause de ces troubles.
Certains loisirs (jardinage, bricolage, etc.) ou maladies installées (diabète, rhumatismes, obésité…) peuvent également les provoquer ou les aggraver.
Le TMS n’est jamais brutal. Sa particularité est d’apparaitre petit à petit, au fil du temps. Cette progressivité explique sans doute le fait que les statistiques concernant les TMS, à la différence des accidents du travail, sont difficiles à établir, pour cause de sous-déclaration. Le taux de sous-déclaration des TMS a été estimé en France en 2011 à 53% pour les TMS du rachis lombaire. On peut donc considérer que la part des TMS du dos qui représente 7% des TMS globaux est sous évaluée.
Certains gestes sont identifiés comme pouvant favoriser les troubles musculosquelettiques :
- La station prolongée statique debout,
- Les mouvements impliquant des torsions du bras, du poignet,
- Les postures avec les bras au–dessus des épaules,
- Le maniement d’outils ou d’engins engendrant des vibrations,
- Des gestes répétitifs, effectués par exemple toutes les 10 à 15 secondes, ou sur plus de 50 % du temps de travail,
- La manipulation fréquente de charges lourdes.
L’environnement joue également un rôle, comme par exemple l’exposition au froid et au bruit, qui constituent des facteurs aggravants, ainsi qu’un éclairage non adapté. Pour mieux y voir, le salarié ajuste sa posture, au prix parfois de torsions inconfortables.
Au-delà de ces facteurs liés à l’aménagement du poste, d’autres critères entrent en ligne de compte lors de la survenue de TMS : un climat social dégradé ou l’insatisfaction du salarié vis-à-vis de ses missions, les cadences exigées, l’organisation du travail et enfin l’âge, responsable naturel du vieillissement corporel.
Prévention des TMS
Conscientes de l’enjeu de santé, de nombreuses entreprises ont traité le problème des TMS, en mettant en place des actions préventives et correctives.
La démarche de prévention passe déjà par l’analyse des situations de travail et l’évaluation des facteurs de risque.
Tout ce travail d’observation est normalement déjà réalisé dans le cadre de la rédaction du Document Unique d’évaluation des risques (DUER), obligatoire dans toutes les sociétés.
Grâce à ce diagnostic, l’entreprise a plusieurs leviers d’actions pour réduire l’apparition de TMS :
- Aménager le poste de travail et son organisation (cadence par exemple)
- Agir sur les équipements (machines, outils, charges lourdes…), y compris en sollicitant les fabricants pour qu’ils adaptent leurs produits.
- Être vigilant sur l’âge moyen des postes occupés et moduler les missions les plus pénibles selon les personnes et leur état physique.
- Varier les gestes et postures demandés, afin de limiter les facteurs de répétition,
- Investir dans des équipements de protection individuelle performants. Dans le cas de la chaussure de sécurité, il faudra par exemple apporter du maintien, de la légèreté et de l’amorti. Le pied étant le socle du corps, certains TMS, notamment aux membres inférieurs et au dos, peuvent être évités ou du moins atténués par un E.P.I adapté. Les problème de dos sont souvent la conséquence de mauvais gestes mais également de mauvaises postures. Pour prévenir des mauvaises postures il faut analyser toute sa chaine corporelle. Une hyper pression plantaire qui engendrerait un inconfort dans les chaussures de sécurité par exemple peut avoir des répercutions sur le reste de l’hyperstructure corporelle et influer sur la posture. Tout comme une chaussure qui va faire basculer trop vers l’arrière ou vers l’avant va faire travailler des muscles ou des articulations de façon disproportionnée et inhabituelle. En ce qui concerne la protection des pieds, choisir des chaussures de sécurité qualitatives a un double effets bénéfiques : le salarié se sent considéré et on limite l’apparition de blessures dont font partie les TMS.
- Faire intervenir un ergonome sur les postes détectés à risque.
Le robot ne résout pas tout !
C’est le cas de l’ergonome Nathalie Bouyat qui elle est souvent appelée dans les ateliers industriels où certains opérateurs souffrent de TMS.
Comment s’y prend-elle pour améliorer les conditions de travail ?
« Lorsqu’on parle d’ergonomie, on pense souvent au seul aménagement physique du poste. Mais en fait, il faut analyser tout l’environnement et l‘organisation du travail autour. Je suis intervenue dans un atelier de mécanosoudure par exemple qui avait investi dans un robot afin de réduire les mouvements pénibles pour l’opérateur. Malgré cet investissement conséquent, un salarié était en arrêt maladie depuis 1 mois suite à des douleurs dans le dos. Après observation, je me suis aperçue que la présence du robot induisait de nouvelles contraintes pour l’opérateur. Sur son poste, il se retrouvait avec 3 ordres de fabrication différents à gérer en simultané : les éléments d’un premier ensemble à charger sur le robot, un autre ensemble en cours de soudure et enfin un 3e en finition manuelle. Cette multitude d’ordres de fabrication engendrait de nouveaux mouvements qui lui ont donné un mal de dos. La solution a été de redéfinir les flux entrants et sortants puis de créer des zones d’intervention dans l’espace de travail. Avec des repères visuels plus marqués, l’opérateur s’y retrouve mieux en termes de production. Depuis, il est de nouveau à son poste. »
L’ergonome cite une autre situation vécue : l’installation dans un atelier d’un moyen de levage mis en place afin de réduire le port des charges lourdes. Le résultat fut peu probant puisque des TMS furent assez vite diagnostiqués sur le salarié manipulant l’engin de levage. Une analyse approfondie des conséquences de cette nouvelle installation a permis de comprendre les causes des troubles :
« L’engin limitait bien l’effort pour soulever, mais son maniement engendrait des mouvements latéraux très contraignants. En rajoutant une potence, nous avons supprimé ce facteur de risques physiques. Le salarié a pu reprendre son poste, ce qui est toujours gratifiant. »
Dans son diagnostic, l’ergonome prend en compte toutes les ressources mobilisées par l’opérateur : biologique, physique, cognitive, y compris des dysfonctionnements qui peuvent être à l’origine de TMS.
« Il est nécessaire d’analyser le poste avant et le poste après car tout est interdépendant, précise Nathalie. Si le poste avant est toujours en retard, cela va créer du stress pour l’opérateur suivant, et être potentiellement source de TMS.
Lorsqu’elle doit aménager une ligne de fabrication par exemple, Nathalie constitue des groupes de travail avec les salariés.
« Ensemble, nous analysons toute l’organisation de la ligne : les flux, les postures, les cadences, les contraintes de production, les demandes de la direction. Le fait d’intégrer les opérateurs à la réflexion facilite la transition. Ils acceptent mieux le changement et se projettent dans l’avenir. »
On le voit, les TMS sont une pathologie multifactorielle, dont les causes sont parfois difficiles à comprendre ou à détecter. Dans tous les cas, l’entreprise a tout intérêt à se donner les moyens d’y remédier. Tout d’abord d’un point de vue économique car les TMS lui coûtent cher. Ensuite, parce que la santé et la qualité de vie au travail sont l’argument des entreprises modernes qui soignent leur image en soignant leurs salariés.